
Cette année, le monastère principal fête son 30ᵉ anniversaire. Nous célébrons en effet l’anniversaire de la fondation de notre École, une fois tous les cinq ans. Dans le passé, notre Maître a établi un plan quinquennal. Il est décédé à la fin du mois de décembre 2019, au terme de ce cinquième plan quinquennal. À cette époque, il avait déjà distribué le travail aux Sanghas, préparé la célébration du 25ᵉ anniversaire et prévu de la faire au monastère Zen de Chan Nhu, au Texas, et d'inaugurer ce même monastère. Mais tous ses projets ont changé.
Cela fait cinq ans que le Maître est parti, le temps est passé si vite. Les anciens disaient : “Quand le bambou meurt, les jeunes pousses émergent”. Je pense que lorsque les jeunes pousses commencent à émerger, le bambou est encore en bon état ; et quand le bambou meurt, les jeunes pousses sont déjà matures. Cela fait maintenant 10 ans que je porte la responsabilité que le Maître m'a confiée, je pense que c'est suffisant pour mon âge. Je ne fais plus partie des “thất thập cổ lai hy” (“rares septuagénaires encore en vie dans ce monde humain”*) mais plutôt des “bát thập ngũ niên, cổ lai hy” (“rares octogénaires...”) ! Le moment est venu de transmettre la responsabilité à la jeune génération, adaptée au 21ᵉ siècle, le siècle des jeunes, de la science et de la technologie de pointe dans le monde.
Revenons au titre de l’article “Une écharde plantée dans le doigt”
Cette année, le monastère a décidé d'organiser la “Cérémonie marquant les 30 ans de notre école Sunyata (1995-2025)” suivie de la “Cérémonie de Transmission du bâton de Zen (au successeur de la Vénérable, NDT)”. La cérémonie traditionnelle annuelle a été fixée par le Maître au premier dimanche d'avril dans le passé, et cette année, elle aura lieu le dimanche 6 avril (2025) et se tiendra au Monastère Principal de Sunyata en Californie du Sud.
Au cours des cinq dernières années, le monastère fonctionnait tranquillement. J'ai visité les 18 sanghas et rencontré directement les méditants. Visites, rappels, révisions des enseignements et des théories du Zen, et surtout, retours de chaque méditant sur sa pratique, ses expériences, etc. J'étais souvent absente du monastère, de sorte que les fleurs et les plantes ornementales fleurissaient et se fanaient en fonction de nombreuses conditions. Tout comme les feuilles mortes qui sont tombées partout, personne ne les a ramassées. Seule Mlle Dieu Nhan, autrice du poème “Les feuilles balayées” d’antan, qui, suite à ce balayage des feuilles mortes au monastère, s'est souvenue avec émotion du destin de l'être humain : “À la fin de sa vie, on finira aussi comme ces feuilles jaunes sèches qui tombent sur le sol”.
Depuis quelques jours, le monastère se prépare à la cérémonie. La première tâche du groupe de Nhu Thao et Nhu Quynh a été de repeindre les petites cabanes du monastère. Ce travail a duré une semaine et a demandé beaucoup d'efforts ainsi que des mains habiles. Seuls des professionnels ont pu les peindre correctement. Nhu Quynh est une professionnelle qui dirigeait tout le groupe de jeunes “ouvriers amateurs”. À midi, lors d'une pause pour aller déjeuner, Nhu Quynh était couverte de peinture, sur ses cheveux, son visage, ses vêtements et surtout ses mains sales. “Pourquoi n'as-tu pas mis de gants ?” “Je dois m’occuper des endroits qui nécessitent des mains habiles. Si je mets des gants, ce serait plus difficile.”
Puis, un soir, la nuit tombée, les participants ne voyant plus rien, le groupe s’est arrêté pour aller se reposer à l’intérieur. Nhu Quynh a chuchoté à l’oreille de Nhu Van qui est partie en courant. Il s'est avéré qu’une écharde s'était plantée à l’extrémité de son doigt. Nhu Van a trouvé une aiguille, Nhu Quynh a tendu la main, sale. J'ai sorti la lampe de mon téléphone portable et je l’ai braquée sur la blessure pour que Nhu Van puisse bien voir l’écharde. Nhu Quynh souriait toujours et parlait calmement. Je n'ai pas regardé la main de Nhu Quynh, mais j'ai senti une douleur aiguë dans ma poitrine ou dans mon cœur. Oh, je n'ai pas été blessée, mais pourquoi mon cœur a-t-il ressenti une douleur si aiguë ? Et Nhu Quynh, avec une écharde plantée dans le doigt, pourquoi a-t-elle pu sourire et parler calmement ? Le corps ne perçoit pas la douleur ; c'est donc le mental qui la ressent. Le mental de Nhu Quynh n'avait pas de problème, mais pourquoi mon mental souffrait-il ? C'est le mental souffrant qui m’a fait mal à la poitrine. Puis le moment est venu pour Nhu Quynh et son groupe de reprendre l'avion pour la Caroline du Nord. Ils ont quitté le monastère un jour plus tôt.
Ensuite, Mme Minh Tinh est arrivée de Floride pour se préparer à l'ordination. Le même jour, le 4 mars, M. Quang Tien a débarqué d'Allemagne pour donner un coup de main au monastère jusqu’à la fin de toutes les retraites en avril. C'est un pratiquant chevronné du Maître et il était propriétaire d'un restaurant vietnamien en Allemagne. Lors de la retraite annuelle au monastère zen de Sunyata à Schenkenzell, il participe en prenant en charge les repas pour les méditants vietnamiens et allemands. Il est arrivé au monastère au moment où le comité organisateur était embarrassé, n’ayant pas trouvé la personne pour s’occuper des repas. Elle devrait non seulement s'occuper des repas pour les deux jours de la cérémonie, mais aussi pour les jours qui précèdent et qui suivent. Les méditants venant de sanghas lointains, tels que ceux de Paris, d'Allemagne, d'Australie ou du Viet Nam, arriveraient les uns après les autres avant la cérémonie, et certains resteraient après pour visiter la Californie. Je me suis demandé si nous devions nous contenter de manger des pizzas, des sandwichs ou de commander des plats à emporter pendant ces deux jours de cérémonies. Quang Tien s'est porté volontaire pour prendre en charge tous les repas en mars et en avril au monastère. Comme si un fardeau m'avait été enlevé, je suis vraiment reconnaissant envers lui. Pendant son temps libre, il s’occupait du jardin. Je lui ai dit : “Si tu vois quelque chose à faire, fais-le. Fais comme chez toi.”
Un après-midi, il est entré dans le hall et a demandé à Nhu Van si elle avait une aiguille. Il s'est avéré qu'il avait une écharde plantée dans le doigt. - Portais-tu des gants ? Oui. Pourquoi ton doigt est-il comme cela ? Je balayais les feuilles, puis je jetais les ordures dans la poubelle, et une écharde s’est plantée dans mon doigt. J'ai pensé : “Mon jardin a beaucoup de pins, avec des feuilles aussi pointues que des aiguilles.” Après avoir enlevé l’écharde, Quang Tien a dit doucement :
“ L'histoire de l’écharde est exactement la même que notre pratique. L’écharde est quelque chose qui vient de l'extérieur et qui nous fait souffrir. Notre travail consiste à nous en débarrasser rapidement, à enlever la racine de l’écharde, et alors la douleur disparaîtra. Ensuite, on doit nettoyer la plaie, la panser, et c'est tout. Si on vit normalement, on sera en paix, il n'y aura ni douleur ni souffrance. C'est parce que l’on n'a pas conscience que l’écharde, quelque chose de sale et de dangereux, même si c'est petit, va nous faire mal et nous faire souffrir.” Quang Tien se mit alors à rire. Oui, c’est une expérience. Notre esprit est intrinsèquement paisible, normal et dénué d’impureté. Rappelons-nous : ne rien apporter de l'extérieur qui pourrait causer la perte de la pureté et de la joie de notre esprit.
C'est tout ce qu'il y a à dire de l’histoire de l’écharde.
Le bouddhisme n'est pas éloigné de la vie de tous les jours. La pratique n'est pas non plus quelque chose de mystérieux ou de lointain. Nous pratiquons souvent naturellement, sans même nous en rendre compte. Parfois, nous vivons bien, honnêtement et correctement, sans le savoir. Parfois, nous faisons également le mal sans le savoir. Si nous ne nous connaissons pas nous-mêmes, comment pouvons-nous connaître les autres ? Nous ne faisons qu'imaginer et spéculer sur les autres, ce qui fait que nous nous méprenons souvent, ou que nous souffrons seuls, que nous nous disputons et que nous avons des conflits. C'est la source de la souffrance.
L'histoire de l'écharde plantée dans le doigt n'est pas différente de ce verset :
“Nous protégerons l'entrée de nos facultés sensorielles. En voyant une forme avec l'œil, nous ne saisirons pas un aspect, ne saisirons pas un détail sur la base duquel, si nous demeurions sans restreindre la faculté de l'œil, la convoitise & déplaisance mentale, ainsi que des états mentaux malsains et désavantageux pourraient nous envahir ; nous poursuivrons la voie de sa restreinte ; nous garderons la faculté de l’œil ; nous entreprendrons la restreinte de la faculté de l'œil. En entendant un son avec l'oreille,... en sentant une odeur avec le nez,... en goûtant une saveur avec la langue,... en expérimentant une sensation corporelle avec le corps,... en prenant conscience d'un phénomène mental avec l'esprit, nous ne saisirons pas un aspect, nous ne saisirons pas un détail sur la base duquel, si nous demeurions sans restreindre la faculté de l'esprit, la convoitise & déplaisance mentale, ainsi que des états mentaux malsains et désavantageux pourraient nous envahir; nous poursuivrons la voie de sa restreinte; nous garderons la faculté de l'esprit; nous entreprendrons la restreinte de la faculté de l'esprit.” (Mahā Assapura Sutta de la Collection Nikāya).
Nous n'avons pas fait attention et une écharde s’est plantée dans le doigt, ce qui a provoqué des douleurs. Il faut la retirer avec précaution et, désormais, il faut rester davantage attentif et vigilant dans tout acte de notre vie.
Je ne sais pas si c'est à cause de l’écharde, mais lorsque Quang Minh et Maître Quang Dung se sont rendus au monastère quelques jours plus tard, Quang Minh a souhaité faire le renoncement de courte durée (pendant son séjour au temple), et Quang Tien a également fait la même demande (pendant ses deux mois passés au monastère). Toutes les personnes présentes ont été remplies de joie et les ont félicités pour leur décision de renoncement. Le lendemain matin, le 10 mars, le monastère a organisé la cérémonie de renoncement de courte durée, semant ainsi la graine de la Bodhi dans leur cœur. On espère qu'avec suffisamment de bonnes conditions, la graine germera, fleurira et portera le fruit de l'émancipation.
Monastère principal, le 11/3/2025
Triet Nhu
* “Depuis les temps antiques, arriver à l’âge de soixante-dix ans est chose rare”, extrait de “La rivière sinueuse” de Du Fu, grand poète chinois classique (VIIIe siècle).
Traduit en français par Marc Giang, relu par Bùi Phương Trâm.
Lien vers l'article en vietnamien : https://tanhkhong.org/p105a4636/chuyen-xoc-dam