RÉCIT DE VOYAGE ET D’ENSEIGNEMENT A TORONTO
JUIN 2024
Le matin du 17 juin 2024, après avoir fait mes adieux à Montréal, je prends l'avion pour Toronto. Le vol ne dure qu'un peu plus d'une heure et je choisis le petit aéroport de Toronto, Toronto Island Airport-YTZ. Pourquoi le choix de cet aéroport ? Car l'année dernière, ayant pris le vol Californie – Toronto et en atterrissant ici, j’ai vécu une expérience très impressionnante qui a marqué mon esprit. Cette fois-là, l'avion a atterri en fin de journée. Dans un aéroport très éclairé, je n’ai pas remarqué la nuit qui tombait. Debout sur le pont du ferry qui traversait la mer pour rejoindre la ville de Toronto, je voyais la nuit recouvrir la vaste mer. Au loin, la ville de Toronto était illuminée. Chaque panneau de verre des gratte-ciel était une lumière étincelante, et de loin, on dirait une ville constellée de diamants. En regardant encore plus haut, dans le ciel sombre, la pleine lune irradiait d'une douce lumière l'eau ondulante. L'eau scintillait également de nombreuses rangées de diamants bleus, rouges, blancs et jaunes. Et voilà que toute la ville brillante de Toronto se déplaçait, doucement, lentement, se rapprochant de plus en plus, puis s'arrêtait enfin.
Le ferry était arrivé à quai. Cela n'avait duré que quelques minutes, la traversée avec le ferry n'avait duré que quelques minutes, mes amis. J’ai réalisé "ce qui est à cet instant T", qui était en même temps "ce qui est illusoire".
Grâce aux organes sensoriels, nous voyons "ce qui est à cet instant T".
Grâce à la sagesse, on sait qu'il s'agit de "ce qui est illusoire".
Cela est conforme à la phrase "L’essence des phénomènes est Vacuité" prononcée par les Progressistes (les patriarches du bouddhisme Mahāyāna, NDT), qui signifie que les phénomènes sont présents mais que leur essence est vide. Par conséquent, voir "ce qui est à cet instant T" relève de la phénoménologie, et voir "ce qui est illusoire" ou voir "le vide" relève de l'ontologie.
De cette expérience, je trouve que les deux termes "comme la réalité" et "comme une illusion" des écritures bouddhistes sont extrêmement précis. C'est là que se trouve la voie du milieu, qui consiste à ne rien affirmer. Chaque fois que nous affirmons quelque chose, nous tombons dans la controverse de la dualité. Par exemple, lorsque nous affirmons : "C'est vrai", nous sommes attachés au monde phénoménal, ou lorsque nous affirmons "C'est faux, c'est vide", nous avons oublié la réalité du phénomène et nous avons nié le phénomène.
Pour en revenir à l'histoire d'aujourd'hui, j'ai choisi cet aéroport YTZ en raison de ces vieux souvenirs et parce que je voulais profiter une fois de plus du spectacle de cette nuit-là. Mais c'est vraiment un effort inutile. Cette fois, j'atterris à l'aéroport YTZ en fin d'après-midi, sous un soleil de plomb. Debout sur le ferry, je regarde la mer, l'eau ondule aussi, le vent est frais, et on voit au loin la ville de Toronto, les gratte-ciel, le béton et les fenêtres en verre, les couleurs blanc, gris, et aussi la couleur vert des arbres, des convois de véhicules avançant sur la route... Puis le ferry accoste, je prends mes bagages et descends du ferry. Debout à l'ombre, je regarde autour de moi pour voir si quelqu'un vient me chercher. Pourquoi mon esprit est-il si indifférent aujourd'hui ? J’étais pourtant aussi debout sur ce ferry, regardant également la ville de Toronto, mais ne voyant que du béton et des fenêtres en verre tout secs, je n'avais pas l'impression que Toronto s'approchait, ouvrant ses bras pour m'accueillir comme en cette nuit de clair de lune ? En quelques minutes, cette nuit-là, l'immense lune et l'eau, étincelante de rouge et de bleu, le ciel sombre couvert de diamants se sont lentement approchés de moi. Une scène merveilleusement belle qui n'arrive qu'une fois dans une vie, "ce qui était à cet instant T" et "ce qui était illusoire" sont apparus simultanément dans mon esprit.
En me remémorant cette expérience, je pense aux quatre vers de la poésie chinoise classique que le jeune étudiant Cui Hu a dédiés au pied d'un pêcher, lorsqu'il est retourné dans un lieu et qu'il n'a pas vu la femme d'autrefois qui se trouvait à la porte, juste à côté du pêcher en fleurs :
“Khứ niên kim nhật thử môn trung,
Nhân diện đào hoa tương ánh hồng,
Nhân diện bất tri hà xứ khứ,
Đào hoa y cựu tiếu đông phong”.
Leur signification est sommairement la suivante :
L'année dernière, à la même date, près de cette porte,
Le visage de cette personne et les fleurs de pêcher étaient de la même couleur rose.
La personne, je ne sais plus où elle est,
Les fleurs de pêcher, comme autrefois, sourient encore à la brise d'hiver.
Parlons maintenant de la retraite de Toronto. Cette année, de nombreux méditants chevronnés y participent. Je sais qu'ils veulent simplement venir me rendre visite. Ils ont déjà maîtrisé le chemin de pratique, ayant étudié directement avec le Maître il y a de nombreuses années. C'est pourquoi, cette année, simplement un résumé de la théorie et de la pratique est présenté, afin d'aider chacun à maîtriser les étapes sans craindre de se tromper.
Vous trouverez ci-dessous les processus de pratique les plus courants.
1- ÉCOUTER:
- écouter le son de cloche,
- écouter tous les sons.
+ Étape 1: Écouter en portant son attention sur l'objet (sommairement appelé Mindfulness) : lorsque nous débutons dans la pratique ou lorsque notre esprit est dispersé, inquiet, nous devons prêter plus d'attention à l'objet. C'est la première étape.
+ Étape 2: Entendre le son tel quel (yathābhūta), entendre le son à l’instant T. Lorsque l'esprit est temporairement calme et détendu, nous n'essayons plus de nous focaliser sur l'objet. Nous entendons simplement le son (awareness).
+ Étape 3: Abandonner l'objet de méditation, sachons simplement que nous entendons, que nous observons notre esprit vide et silencieuse (bare awareness), que nous demeurons dans notre mental vrai.
2- VOIR: les nombreuses pratiques enseignées par le Maître dans le passé:
- Le balayage de la vue
- La vue lointaine
- La vue intermédiaire
- La vue droit devant soi
- La vue sans nommer l’objet
- La vue des choses telles quelles
Le processus de vision peut également être sommairement divisé en trois étapes :
Étape 1: La vue en prêtant attention à l’objet / mindfulness
Étape 2: La vue de l’objet tel qu’il est, de son état à l’instant T / Yathābhūta
Étape 3: La vue vide, la vue "ainsi".
3- LE TOUCHER:
A- La relaxation de la langue peut également être sommairement divisée en trois étapes.
Étape 1: en prêtant attention à l’objet
Étape 2: détendu, avec la simple connaissance de la langue relaxée
Étape 3: en contemplant le mental devenu silencieux, vide.
B- La marche méditative : marcher lentement, en sachant ce qu'est réellement le toucher lors du contact du pied :
- sur les cailloux
- sur l’herbe
- le sol
C- La respiration : associée sommairement avec le Sutra sur les fondements de l’attention juste, il y a 5 étapes à pratiquer :
1) Savoir ce que sont l'inspiration et l'expiration, telles quelles.
2) Observer les réactions biologiques du corps
3) Observer le mental devenu pur, calme et silencieux
4) Contempler l’apparition suivie de la disparition (des phénomènes) sur le corps
5) Demeurer dans la conscience éveillée "ainsi".
4- COGNITION: « Ne pas parler », cette méthode peut également être sommairement divisée en quatre étapes.
1- Murmurer “Ne parle pas…o.. Ne parle pas ……..”
Le petit cercle rouge symbolise à ce moment la connaissance objective, pure, calme et silencieuse, qui est présente lorsque l'on ne murmure pas. À ce propos, le vénérable Ashvaghosha a parlé de "la connaissance de l’Ainsité", ou de la connaissance du mental vrai.
2- Prolonger la durée pendant laquelle on ne murmure pas. Murmurer plus doucement. La connaissance du mental vrai dure plus longtemps et est plus solide.
3- Contempler le mental pur, calme et silencieux lorsque l’on ne murmure pas.
4-Lâcher le sujet. Demeurer solidement dans le mental vrai..
Ce qui précède est un résumé des méthodes, en utilisant les sens et en ayant un objet (dans la première étape) menant à l'étape supérieure, combinant la contemplation, le samatha, le samadhi et la sagesse dans le processus de pratique de chaque personne.
Lorsque notre mental ne murmure plus et se calme, nous considérons temporairement qu'il s'agit de Samatha, mais si nous avons encore des pensées, des attachements aux événements de la vie, vous devons contempler davantage l'impermanence. Nous pouvons alors observer le monde, voir et connaître ce qui est à l’instant T, avec un mental objectif et tranquille. Cependant, si nous sommes encore parfois inquiets et attachés aux affaires de la vie, nous devons réfléchir davantage à la loi de l’interdépendance des phénomènes du monde, au Karma et à la Causalité. Notre esprit sera ainsi en paix et détaché. Et lorsque nous méditons en position assise, il nous sera plus facile d'atteindre un calme plus profond et de demeurer plus solidement dans notre mental vrai. Ainsi, le mental possède à la fois la stabilisation et la sagesse, dans la vie de tous les jours.
La sangha de Toronto vient d'avoir un nouveau président. L'année dernière, la présidente de la sangha, en raison de son état de santé, avait demandé à passer le relais à son adjoint. Le temps de la réélection est venu, les méditants attendaient ma visite pour l'organiser. Cette année, M. Tam Hoa est élu président, et M. Thang son adjoint. Les deux méditants acceptent volontiers ces responsabilités et, avec tous les méditants de la sangha, ils pratiquent ensemble en harmonie, comme ils le font depuis plus de 15 ans.
Le dernier jour à Toronto, Mme Nhu Anh nous emmène, Nhu Van et moi, au bord du lac pour admirer le paysage. Toronto compte de nombreux lacs. Ce lac est situé en plein milieu de la ville, avec une circulation dense, des gratte-ciel sur la route et peu d'arbres. Cependant, lorsque nous arrivons au bord du lac, nous sommes abrités par des rangées d'arbres verts, assis sur un banc en bois, profitant de la brise fraîche du parc désert. Je me sens détendue, je respire la brise fraîche, je ressens la douceur de vivre. Peut-être parce que je venais de terminer la retraite méditative, que certaines responsabilités envers le Maître venaient d'être remplies, que je serais bientôt au monastère principal pour faire mon rapport au Maître, que le Maître serait heureux, souriant à mon égard ? Soudain, en regardant ce vaste lac, un cygne aux plumes blanches comme la neige flotte librement, seul, entre le ciel et l'eau. Près d'une dalle de pierre au bord du lac, une petite branche de fleurs sauvages, violettes et roses, accueille elle aussi le vent en toute quiétude. Petite, seule, calme entre ciel et terre.
Le lendemain matin, après avoir fait mes adieux à Toronto, je prends l'avion pour le monastère principal.
Monastère principal, le 4/7/2024
TN
Source (en vietnamien) : https://www.tanhkhong.org/a4260/ky-su-chuyen-du-hoa-toronto-6-2024
Traduit en français par Marc Giang, relu par Bùi Phương Trâm.
Par le biais de ses expériences on découvre mieux son enseignement.
Cadeau poétique que fut sa première arrivée
non reproduit à la seconde arrivée
Rien ne se reproduit et donc juste profiter de ce qui nous est offert.
Merci pour ce résumé des différentes méditations par les sens, à conserver.
Le groupe de Toronto est un exemple de classe bien rangée et studieuse
En France c'est aussi studieux mais avec juste plus de pagaille dans les rangs !!
Belle fin d'été et bon retour au calme à elle au monastère.
Elisabeth.