RÉCIT DE VOYAGE ET D’ENSEIGNEMENT EN SUISSE
Cette année, la retraite annuelle en Suisse a lieu à Vaumarcus Le Camp, un centre de vacances renommé situé au bord du lac de Neuchâtel. Ce lac est très grand, long de 38 km et large de 8 km, le plus grand lac situé entièrement à l'intérieur du territoire de la Suisse. Alors que le lac Léman est encore plus grand, il est partagé entre la Suisse et la France, près des Alpes. Le lac Léman est également connu sous le nom de Lac de Genève.
La retraite de cette année se déroule sur 7 jours, du lundi 29 août au dimanche 4 septembre 2022. Cette fois-ci, Nhu Dung est également du voyage. Nous partons le 27 à 13h30 de l'aéroport de LAX. Du monastère à l'aéroport, il faut environ 1h30 de route, s'il n'y a pas d'embouteillage. Mais comme il y a toujours des embouteillages, aux heures de pointe, en début et à la fin d’une journée de travail, nous devons quitter le monastère vers 7h30. De LAX à l'aéroport d'Istanbul en Turquie, il faut plus de 13 heures de vol, un très long voyage donc, être assis, manger, dormir sur un siège minuscule. Arrivées à Istanbul le 28 à midi, il y a encore 2h30 de transfert et nous voilà embarquées dans un autre avion de Turkish Airlines. Le vol d'Istanbul à Genève ne dure que 3h15 environ. Quand nous arrivons à Genève, il est déjà 17h30, heure locale, le 28 septembre. Après toutes les formalités d'immigration et la récupération des bagages, nous arrivons chez Mme Huê Thuân en fin de journée. Mme Huê Thuân, est la présidente de l'association Śūnyatā Méditation de Lausanne depuis sa création, il y a probablement plus de 10 ans. Ce long et détaillé récit est probablement dû au fait qu’après près de 3 ans de repos au monastère principal, je recommence à entreprendre un long vol transatlantique et j’en suis un peu affectée.
La maison de Mme Huê Thuân est sur une colline de Lausanne, entourée de rues qui montent et qui descendent, des maisons mitoyennes à étages, le long du lac Léman. Du balcon surplombant le lac, on peut admirer, juste de l’autre côté de la petite rue, le paysage avec le soleil qui fait scintiller la surface du lac. Après une nuit de repos, nous partons tôt le matin pour le centre de Vaumarcus Le Camp. Situé sur une haute colline s'étendant jusqu’à la rive du lac de Neuchâtel, le centre est entouré d’un vignoble produisant de petits raisins mûrs de couleur noir destinés à la vinification, et d’une forêt avec un chemin de promenade bien agréable et propice à la marche méditative.
Aux alentours de 10 heures, tous les méditants se réunissent. Cette année, la salle réservée n'est pas aussi bien équipée que celles des années précédentes. Habituellement, les organisateurs doivent réserver les salles un an à l'avance. Pendant les deux années de pandémie de Covid-19, le Sangha local n'a pas pu organiser quoi que ce soit. Et au moment où l’organisation est redevenue possible, les deux pavillons réservés les années précédentes n’étaient plus disponibles. Il ne reste plus qu'un seul pavillon, dont le rez-de-chaussée est composé d’une salle à manger et d’une cuisine. Les chambres et la salle de réunion se trouvent sur les deux étages. La salle de réunion doit accueillir 34 participants, assis les uns à côté des autres, sans que personne ne porte de masque. Par conséquent, les méditants pratiquent souvent à l'extérieur, lorsqu'il fait beau, bien ensoleillé, qu'il ne pleut pas, qu'il ne fait pas trop froid. Heureusement, bien que la météo ait annoncé de la pluie, il ne pleut pas, ou parfois très peu.
La particularité de la retraite de cette année en Suisse réside dans la participation de nombreux méditants venus de Paris, de Toulouse et de Berlin, aux côtés de nombreux membres de l'association Śūnyatā Méditation de Lausanne. Étant donné le nombre limité de places, il a fallu clore l’inscription avant le délai indiqué. Sur 34 participants, il y a un Suisse et quatre Françaises, qui sont tous francophones, d'où le caractère bilingue français-vietnamien de la retraite. L'un des interprètes principaux est Tâm Minh, qui d’ailleurs prend refuge dans les Trois Joyaux le jour de la clôture en même temps que Nhu Lien (une méditante française), Nhu Bao et Nhu Ha (méditantes de Berlin, Allemagne).
À Vaumarcus, le soleil tarde à se lever à 6h00 du matin. Les méditants réunis dans la salle de réunion commencent par saluer Bouddha en sanskrit "Namo Sākya Muni Bouddha" y compris les méditants français de Toulouse et Poitiers. Tous pratiquent souvent la méditation basée sur la respiration : inspirer et expirer lentement et naturellement, tout en sachant qu'ils sont en train de respirer, et rien d'autre, conformément à l’enseignement de Bouddha : "Le bhikkhu va dans la forêt, ou vers un arbre, ou une maison vide, s'assied en tailleur, le dos droit, plaçant la Connaissance juste devant lui, inspire, conscient de l’inspiration, expire, conscient de l’expiration …" Il y a également des séances d'écoute du son de cloche. La cloche sonne lentement, de manière sporadique, de plus en plus espacée, produisant et prolongeant chez le méditant une connaissance d’être en train d’entendre des sons. Être en train d’entendre le son de la cloche ou être en train d’entendre l’absence de son de cloche, c’est toujours avec la connaissance, même quand l’objet de méditation n’est plus là. C'est la première étape pour ramener le mental au son de la cloche. Puis progressivement, le méditant reconnaît qu’il entend l’absence de son de cloche, c'est-à-dire qu’il réalise que son mental se reconnaît lui-même. Autrement dit, il est en train de demeurer paisiblement dans une connaissance unifiée : calme, pure, qui est son propre mental originel et clair. Notre chemin de pratique est aussi simple que cela.
Ici, le soleil se lève vers 6h45 le matin. Quand les rayons de lumière rouge vif apparaîssent à l'horizon réfléchissant sur la surface du lac, les méditants sortent dans la cour, et regardent le soleil levant pendant environ dix minutes. Ensuite, le soleil s'élève progressivement au-dessus de la surface de l'eau, devient de plus en plus brillant. Regarder pendant 10 minutes les rayons roses du soleil à l'aube active la glande pinéale (qui est située au milieu du cerveau, derrière le thalamus). C’est similaire à regarder le reflet de la lumière du soleil qui brille sur le jardin, sur la surface de la route, sur une voiture garée dans la cour, pendant 10 minutes. Cela agit donc sur la glande pinéale qui sécrète de la sérotonine et de la mélatonine. La sérotonine nous donne de l’allégresse, de l’énergie, peut atténuer la dépression, la migraine, la léthargie. La mélatonine améliore le sommeil, fortifie notre système immunitaire, nos yeux et peut prévenir la cataracte. Ces deux substances, la sérotonine et la mélatonine se trouvent dans la glande pinéale, ainsi que dans le tronc cérébral. Si nous pratiquons la méditation basée sur la respiration, notre mental deviendra calme, le système nerveux parasympathique sera activé, le tronc cérébral sécrétera de la sérotonine et de la mélatonine avec le même effet. En outre, il y aura de l'acétylcholine secrétée par les extrémités du système parasympathique, qui aide à neutraliser les deux substances noradrénaline et adrénaline, rééquilibrant ainsi les organes internes, apportant une bonne santé.
Après la contemplation du lever du soleil, les méditants pratiquent le Qi-Gong à l'extérieur. Le soleil étant bien haut, l'air frais se réchauffe. À l'extérieur, on pratique uniquement les postures debout qui sont bénéfiques au cœur, aux poumons, aux reins, aux genoux (soulageant le rhumatisme). Dans la salle de réunion où le sol est en parquet, on peut pratiquer les positions assises, allongées et agenouillées.
7h30 du matin, c’est l’heure de la préparation du petit déjeuner par un petit groupe de méditants. À 8h, tout le monde est là pour saluer Bouddha en sanskrit et prendre le petit déjeuner en silence, ou en murmurant uniquement quand c'est nécessaire.
Chaque jour, les cours commencent à 9h00. Habituellement par la marche méditative quand le temps est frais et ensoleillé. Le parcours de la marche varie : en allant dans la forêt, en marchant sur la route du village le long du vignoble, en faisant le tour de la cour, en allant vers le lac, en montant et descendant, fatiguant les personnes âgées, et si elles sont fatiguées, il suffit qu’elles s’asseyent et se reposent sur des bancs en bois installés ici et là dans le champ d'herbe. Chaque marche méditative dure environ 15 minutes à l’aller et 15 autres minutes au retour. Le thème est généralement "Êre conscient de la marche", c'est-à-dire que notre attention est portée sur le pied touchant le chemin. Il y a aussi d'autres sujets : "Tout savoir, par les yeux, par les oreilles, par le nez, par la peau en contact avec le froid, le chaud… sans dire un mot dans la tête". Ou lâcher le sujet "Être conscient de la marche". Cette pratique d'utiliser les différentes méthodes de connaissance afin de ne pas s'attacher à une quelconque habitude. Ne pas s'accrocher à un Dharma (enseignement).
Parfois, après 15 minutes de marche méditative, les pratiquants s'assoient sur des bancs en bois, ou sur des chaises disposées ici et là, regardent le paysage devant soi, voient, reconnaissent... puis 15 minutes plus tard, ils retournent à la salle de réunion et présentent ce qu’ils voient. Vu le nombre important de participants, il n'est pas possible pour tout le monde de le faire, mais uniquement pour ceux qui le souhaitent en levant la main pour demander la parole. En plus de cela, la discussion est bilingue, ce qui ralentit un peu les échanges malgré l’effort des organisateurs d’assurer la traduction instantanée via des appareils d’écoute portatifs et individuels.
C’est ainsi la pratique de la marche méditative et de la contemplation, pour réaliser l'impermanence, la production conditionnée interdépendante des phénomènes. De nombreux méditants remarquent puis décrivent minutieusement la scène. Il s’agit de leur connaissance à l’instant "t", c'est-à-dire voir et savoir "ce qui se passe actuellement", sans se soucier ni du passé ni du futur. Le méditant regarde le paysage naturellement, puis le décrit aussi fidèlement comme s'il ne s'agit pas d'une pratique zen. Ainsi, tout le monde est à l'aise, même ceux qui n'ont jamais pratiqué le zen ou ceux qui ne sont pas familiers avec les écritures bouddhiques. Ils peuvent comprendre et faire ce qu'il faut. À la fin de la séance, les méditants réalisent clairement qu'ils ont pratiqué l’Anupassanā (la Contemplation), ou le Samatha ou le Samādhi, ou le Vipassanā (la Sagesse).
C'est la nouvelle approche adoptée : ne pas expliquer au préalable les enseignements et les écritures bouddhiques, mais laisser chaque méditant en faire l'expérience, s'en rendre compte d'abord, ou "Vivre naturellement dans le Zen". Ainsi, le Zen c'est vivre simplement avec soi-même, partager honnêtement et harmonieusement avec tout le monde. C'est simplement cela.
Il n'est pas nécessaire de prêcher la diligence, la patience, la ferveur, la Connaissance juste (non verbale), la pleine conscience vigilante, de renoncer à la vie familiale, aux désirs, d’éliminer l'égo, l'avidité, la haine, l’ignorance, etc. Trop de livres qui commentent le Dharma, rendent confus ceux qui débutent, et plongent les autres dans la recherche de vérités venant de l'extérieur ?
Mes chers méditants, cet esprit est le nôtre, il est toujours en nous. Une vie simple, naturelle est une vie paisible, pure. Savoir ce qu’on est en train de faire, de regarder, de marcher, de manger. Qu’est-ce qui est compliqué, difficile dans tout cela ? Méditer en marchant, s'asseoir et regarder le paysage, voir un arbre, une fleur, des nuages dans le ciel... Comment peut-il y avoir de la manifestation de la cupidité, de la haine et de l’égarement ? Comment peut-il y avoir de l’attachement au passé, au futur, et au présent ? Comment peut-on avoir l'intention de tuer, de voler, de commettre l'adultère, de mentir, de boire d'alcool ou de faire usage des produits illicites tels que les stupéfiants… ? Même en les relatant ensuite dans la salle de réunion, il n'y a pas de manifestations de la malveillance. Ainsi, l'esprit est également pur, relativement objectif à ce moment-là. La pratique régulière d'une vie aussi simple est également bénéfique à notre santé et à notre sagesse, étant donné que nous sommes des pratiquants laïcs qui ont une vie familiale et sociale.
Une particularité du centre de Vaumarcus est la possibilité de faire un feu de camp. Il y a toujours un feu de camp à chaque retraite spirituelle ici. Le bois pour le feu y est disponible, autrefois, il fallait parfois aller le chercher dans la forêt. Il suffit de préparer quelques collations : des patates douces, des pommes de terre ou du maïs à mettre sur un gril à charbon, et des gâteaux, des fruits... selon nos volontés. Le temps est frais, la brise légère, nous sommes assis les uns près des autres, à côté du feu brûlant, du bois sec qui crépite et craque, des flammes scintillantes, des chants, des rires…, c’est si chaleureux.
Après une retraite paisible et joyeuse de 7 jours, vient enfin la clôture avec en prime une cérémonie de prise de refuge dans les Trois Joyaux pour 4 méditants : un homme et trois femmes, dont une Française.
Un petit groupe de méditants parisiens est resté chez la responsable de l’association pour profiter du temps libre de quelques jours, visitant ensemble Lausanne et ses alentours : une célèbre région viticole de la Suisse, la vieille église du centre-ville, le lac Léman… Et surtout le Musée Charles Chaplin, où j'ai l’occasion de voir de mes yeux le plateau de tournage privé de Charlot et son ancienne maison familiale, aujourd'hui une destination touristique pour les fans de cet acteur du cinéma noir et blanc bien drôle, théâtral, vif et profond des premières décennies du XXe siècle, au moment où le monde du cinéma ne faisait que commencer.
Nous quittons enfin Lausanne pour Paris en train à grande vitesse TGV. Mme Huê Thông, de Śūnyatā Paris, a acheté des billets à l'avance et est restée à Lausanne pour nous accompagner, Nhu Dung et moi, jusqu’à Paris le 10 septembre. Le train n'est pas vraiment bondé, les sièges sont confortables et le paysage appréciable sur le parcours. Lors des journées ensoleillées, le ciel sur le lac est très beau : de nombreux amas de nuages blancs comme de la neige flottent sur l'immense ciel bleu. Nous traversons parfois des champs verts tout à fait rectilignes, parfois des villages et leurs maisons clairsemées, voyons parfois des vaches en train de brouter l'herbe. De loin, elles ressemblent à des moutons blancs, mais il s’agit bien des vaches : leur queue flotte, leur dos relevé. En entrant dans les villes, les maisons sont rapprochées, les voitures s'affairent, la voie ferrée longe de nombreuses rues. À la gare, les gens attendent, descendent, montent.
La scène de la vie change. La vie humaine est comme un train express, qui roule vite, très vite, à travers de nombreux virages, des collines, des plaines, avec des personnes qui arrivent, des personnes qui s’en vont, difficilement retrouvables, jusqu’à la dernière gare. Puis le lendemain matin, un autre train express repart, emmène d'autres voyageurs, parfois les mêmes clients habituels.
Puis ce train aussi roule vite pour arriver à sa dernière station. Puis tout recommence. Mais quand nos trains express à nous vont-ils s’arrêter ?
Monastère principal, le 17 septembre 2022,
TN
Groupe de méditants suisses
Groupe de méditants de Paris
La maison de Charles Chaplin
Groupe de méditants de Toulouse
Groupe de méditants de Berlin
Un pavillon du centre Vaumarcus
- Source : « Ni sư Triệt Như - KÝ SỰ CHUYẾN DU HÓA THỤY SỸ 8&9- 2022 » (https://www.tanhkhong.org/p1184a3357/ni-su-triet-nhu-ky-su-chuyen-du-hoa-thuy-sy-8-2022)
- Traduit en français par Tâm Minh – Marc Giang (de Śūnyatā Toulouse)
- Édité par Nhất Hòa – Cao Thiện Phước (de Śūnyatā Paris)